La Faculté de Médecine de Montpellier et les épidémies

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L’épidémie actuelle de Coronavirus à Covid-19 a eu pour effet, entre autres, de perturber la célébration des 800 ans de la Faculté de Médecine de Montpellier. Mais ce n’est que partie remise, car les manifestations sont reportées au second semestre 2020, et au premier de 2021. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que l’École de Médecine de Montpellier, durant ses huit siècles d’existence, s’est trouvée confrontée à des épidémies, sans que son existence n’en soit remise en cause, même dans le cas des plus sévères. Voyons donc de plus près ces diverses épidémies qui ont affecté notre ville, certaines gravement (la peste, la grippe espagnole, le sida), d’autres de façon plus discrète. Mais l’École de Médecine de Montpellier a toujours été ai premier rang de la lutte contre ces épidémies.

La peste (XIVe – XVIIIe siècles)

Durant la seconde moitié du XIVe siècle, Montpellier eut à faire face à un désastre majeur qui mit en danger son Université médicale : l’arrivée de la deuxième pandémie pesteuse, plus connue sous le nom de Grande Peste noire. Celle-ci, venue des hauts plateaux d’Asie centrale, via le comptoir gênois de Caffa, atteignit l’Europe en 1348 et causa un désastre sanitaire, démographique et économique. En cinq années, elle parcourut tout le continent faisant 25 millions de victimes, soit le quart de la population. La ville de Montpellier passa de 40 000 habitants avant 1348 à 18 000 en 1370. Sur les 170 moines du couvent des Dominicains seuls sept survécurent, et neuf des douze Consuls de la ville succombèrent à la maladie. L’Université médicale, elle-même, fut gravement touchée, avec la perte de tous ses maîtres sauf un.

Gui de Chauliac, le plus célèbre chirurgien du Moyen âge, enseignait à Montpellier et était médecin et chirurgien des papes d’Avignon. Il se trouvait en Avignon lorsque la Grande Peste noire atteignit la ville, en 1348. Il s’y consacra au soin des victimes, fut également atteint, mais réussit à survivre. Il a donné la première description clinique précise de la peste, en différenciant les formes bubonique et pulmonaire.

Après cette vague épidémique, la peste se maintint en Europe jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, réapparaissant de temps à autres dans les villes. Elle revint accomplir ses ravages à Montpellier à plusieurs reprises, en particulier en 1629. A ce moment-là, le professeur François Ranchin était chancelier du Collège Royal de Médecine et premier Consul de la ville de Montpellier. Il y fit montre d’un courage et d’un dévouement exemplaires dans le soin aux patients. Son sens de l’organisation hors du commun se manifesta non seulement dans la lutte contre l’épidémie, mais aussi dans la désinfection de la ville, maison par maison, lorsque l’épidémie fut éteinte. Il mourut durant l’épidémie de peste suivante, en 1641.

Lors de la dernière apparition de la peste en Europe, à Marseille, en 1720, Montpellier et le Languedoc ne furent pas atteints. Mais le Collège Royal de Médecine de Montpellier dépêcha à Marseille plusieurs de ses maîtres, dont son chancelier François Chicoyneau et son collègue Antoine Deidier, accompagnés d’un médecin, un chirurgien et un étudiant en médecine. Cette mission demeura un an, n’épargnant ni son temps ni sa peine dans l’assistance aux milliers de victimes.

Le choléra (XIXe siècle)

La deuxième pandémie de choléra qui atteignit la France dans les années 1832-35, se répandit en Languedoc en 1834-35. Montpellier ne semble pas avoir été inquiétée, mais certains maîtres de sa Faculté de Médecine, dont son doyen, Jean-Marie Dubrueil, et Hyppolite Rech, furent chargés par les ministres du Commerce et de l’Instruction publique d’un « rapport sur le choléra-morbus asiatique qui a régné dans le midi de la France en 1835 ».

La grippe espagnole (XXe siècle)

Durant les dernières années de la Première Guerre mondiale, les mauvaises conditions de santé à la fois des armées et de la population civile furent encore aggravées par l’épidémie de grippe espagnole qui parcourut le monde en 1918 et1919, faisant plus de 20 millions de morts. À Montpellier, plus de 2 900 personnes succombèrent à la grippe espagnole entre avril 1918 et février 1919, avec un pic de morts de 473 pour le seul mois d’octobre 1918. Cette épidémie entraîna une surpopulation de tous les hôpitaux de la ville qui eurent d’autant plus de difficultés à faire face que la plupart de leurs personnels étaient mobilisés aux armées. Marthe Giraud, deuxième femme à avoir réussi à l’internat à la Faculté de Médecine de Montpellier et qui durant toute la guerre dut assurer le fonctionnement des services de l’Hôpital Saint-Éloi, dépeuplés de leurs internes partis aux armées, se trouva en première ligne pour affronter l’épidémie qui lui laissa un douloureux souvenir.

Les épidémies du XXe siècle

La naissance de la microbiologie dans la deuxième moitié du XIXe siècle amena la connaissance des causes des maladies infectieuses, et la compréhension des mécanismes de contagion. Le développement de l’hygiène publique et des outils thérapeutiques spécifiques (vaccins, sérums, antiseptiques et antibiotiques) permit dès lors une lutte efficace contre les épidémies, qui perdirent de leur importance.

Le Service des maladies infectieuses du professeur Marcel Janbon fut installé dans Pavillon Pasteur construit en 1933 sur le terrain de l’Hôpital Saint-Éloi, pour la prise en charge des patients contagieux isolés dans des chambres individuelles. Le laboratoire de microbiologie et l’Institut Bouisson-Bertrand dirigés par Marcel Lisbonne, puis par Jacques Roux apportèrent une aide précieuse au diagnostic et à la prévention des maladies infectieuses. Grâce à cette synergie clinico-microbiologique, les petites épidémies de fièvre typhoïde, qui affectaient régulièrement chaque année la population montpelliéraine, furent jugulées. La réanimation respiratoire développée par André Bertrand en 1955, permit la prise en charge des graves complications respiratoires de la poliomyélite aiguë, une maladie virale survenant par vagues épidémiques estivales dans les années 1950 et au début des années 1960. Une fois le vaccin mis au point, un programme massif de vaccination permit l’éradication de la poliomyélite.

Dans les années qui suivirent, on pensait que les maladies infectieuses pouvaient être facilement maîtrisées, et que des épidémies ne se reproduiraient plus. La survenue, au début des années 1980, du sida, première pandémie des temps modernes, sonna comme un coup de tonnerre dans un ciel serein. La Faculté de Médecine et le CHU de Montpellier apportèrent, et continuent aujourd’hui à apporter, une contribution essentielle au soin et à la recherche dans le domaine du sida, en particulier dans la prise en charge de milliers de patients et la participation à de nombreux essais thérapeutiques de plusieurs antirétroviraux, dans la mise au point de programmes de prévention, au niveau local et régional sous la direction du Pr Jacques Reynes et dans divers pays d’Afrique sudsaharienne avec les Prs Eric Delaporte et Philippe Van De Perre. Les montpelliérains Eric Delaporte et Martine Peeters (IRD Montpellier) sont les auteurs de la découverte majeure de l’origine du VIH transmis à l’homme par les grands primates africains, et des voies de sa diffusion vers les USA, via Haïti.

Ainsi, les épidémies auxquelles la Faculté de médecine a dû faire face au cours de sa longue histoire ont été nombreuses et diverses. Il est trop tôt pour présager du devenir de l’épidémie présente à Coronavirus. Mais, qu’elle perdure ou disparaisse, une chose est certaine, il y aura d’autres épidémies dans le futur, « c’est un fait fatal », comme disait Charles Nicolle.

Jean-Pierre Dedet
Professeur émérite à la Faculté de Médecine,
Université de Montpellier

Michel Serre (1658-1733), La Peste de 1720 à Marseille.
Episode du quai de la TouretteMusée Atger, Université de Montpellier, MontpellierCrédits photographiques :
BIU de Montpellier. Service photographique